Les yoyos, c’est le nom que les prisonniers donnent à un moyen de communication de cellule à cellule. (À la prison d’Arlon, en Belgique, le journal des détenus porte d’ailleurs ce nom). Il y a des yoyos sous-marins qui voyagent sous les portes, mais les plus connus sont les yoyos aériens. Ils servent à transporter des objets, des messages, mais aussi à échanger, à donner, à vendre… Un yoyo comporte en fait deux parties : la première (bout de ficelle, drap découpé…) est lestée et expédiée comme une fronde. Idéalement le taulard « receveur » l’attrape : la communication est établie. Reste à faire circuler sur la deuxième partie du yoyo l’objet à expédier. Dans un sac, dans une bouteille en plastique, dans une chaussette… Ainsi, lorsque la gamelle du jour est trop pauvre et qu’il faut plonger dans les réserves, le contenu de certaines boîtes de conserve voyage en l’air. Des prisonniers font réchauffer leur cassoulet ou leurs raviolis par des voisins privilégiés qui, pour des raisons de santé, disposent d’un réchaud personnel. Rien de facile dans ces transmissions, car d’une cellule à l’autre, naturellement, on ne se voit pas. Tout est affaire d’adresse, dans l’envoi et la réception, surtout lorsque la communication ne s’établit pas entre deux cellules voisines, mais entre des cellules plus éloignées, parfois situées à des étages différents. Il y a des virtuoses du lancer et des maladroits perpétuels. À la longue, sur les murs de la prison, les yoyos échoués forment d’étranges sculptures : un composé baroque de canettes, de boîtes, d’étoffes, où Bruno Paccard a su voir des Piétas, des miséricordes, des drapés à l’antique, des corps écartelés… Tout au bout de la nuit, dans la mouise infinie des prisons, quelque chose s’est formée, une beauté improbable née de tous les abandons, de toutes les détresses. Balayés par la pluie, le vent, la poussière, les yoyos gardent comme une trace d’espérance : les hommes qui les ont utilisés y ont mis une passion, une attente, un désir et sous le regard du photographe cette lumière transparaît.
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